25 % des Français ont travaillé à distance pendant le confinement alors qu’ils n’étaient que 7 % en 2017(1). Cette évolution significative a été rendue
notamment possible par un réseau Internet qui a tenu. De l’avis de beaucoup, ce mouvement devrait perdurer, la seule question étant : dans quelle proportion ? Les tendances sont contradictoires (2). Cela dépendra probablement de l’amélioration de la mise en œuvre par chaque entreprise, c’est-à-dire passer d’un déploiement chaotique du télétravail (logique pour des entreprises qui pour beaucoup d’entre elles découvraient
ce nouveau mode de travail) à une mise en place fluide de celui-ci. LE TÉLÉTRAVAIL N’EST PAS QU’UNE MODE CAR IL CORRESPOND À UN
VÉRITABLE BESOIN DES SALARIÉS
La vie de nombreux collaborateurs est difficile : des temps de transport
importants et cela que l’on habite dans une grande ville (peu de kilomètres mais des embouteillages) ou à la campagne (grandes distances) ;
l’augmentation du nombre de familles monoparentales, la responsabilité
des enfants reposant sur une seule personne (3); la cherté de la vie avec
des salaires globalement peu élevés (4) qui incitent à vivre à l’extérieur des
centres urbains dans des zones étendues et souvent éloignées du lieu de
travail. Le quotidien est alors une succession de contraintes personnelles
et professionnelles, et l’existence une suite de tâches dont on perd le sens.
Le télétravail est le moyen d’alléger ces contraintes et donc de rendre le
quotidien de chaque bénéficiaire plus aisé. Cela permet au collaborateur
de trouver une certaine liberté dans la réalisation de sa mission selon un
rythme qui lui est propre et de ne plus être totalement calé sur le rythme de
l’entreprise (certains dossiers qui ne nécessitent pas de contact avec des
tiers pourront être traités le soir par exemple, permettant sur une partie de la journée de s’occuper des enfants).
Le télétravail permet une amélioration de la qualité de vie de beaucoup de
collaborateurs. Les avantages sont indéniables mais alors pourquoi n’a-t-il pas pu se mettre en place avant la crise sanitaire du COVID-19 alors que les éléments techniques l’autorisaient ? Les raisons sont multiples :
Crainte des collaborateurs : crainte face à l’inconnu (je ne l’ai jamais fait, je ne suis pas habitué, ce n’est pas possible…), crainte face à la confusion entre les vies personnelles et professionnelles, crainte de perdre des repères établis depuis des années et qui sont consciemment ou non indispensables au maintien d’un équilibre personnel.
Inquiétude des managers : avec le télétravail, ceux-ci sont privés de ce qui semble, à beaucoup d’entre eux, être indispensable, à savoir le contrôle de la présence, le contrôle du travail fait, autrement dit le contrôle du collaborateur qui est à leur disposition. Dès lors que celui-ci est chez lui, ce type de maîtrise disparaît. Une comparaison avec les commerciaux est intéressante même si ceux-ci ne sont pas des télétravailleurs au sens juridique du terme. Les commerciaux ont souvent toute liberté d’action
en travaillant d’une façon générale un jour en entreprise (ou chez eux)
pour les tâches administratives et les autres jours à l’extérieur au contact du prospect ou du client. Ils sont donc bien hors du champ de contrôle direct du manager ; pourquoi cette posture ne pourrait-elle pas aller au-delà des forces commerciales ?
Méfiance des collègues de travail : en effet, en l’absence d’organisation du télétravail, un collaborateur peut ne pas connaitre la s i t u a t i o n d e s o n c o l l è g u e (aujourd’hui est-il en arrêt maladie, en congés ou en télétravail), il ne souhaitera alors pas le déranger, risquant de prendre un retard préjudiciable au traitement d’un dossier ou à l’avancée d’un projet. Mais cette gêne peut aller jusqu’à la méfiance : que fait mon collègue
aujourd’hui en télétravail ? N’est-il pas dehors avec son enfant ou à faire du sport ? Une alliance objective se crée avec l’inquiétude du manager.
Existence de zones blanches sur le territoire : zones dans lesquelles l’accès à Internet n’existe pas (très peu nombreuses à date) et surtout de zones non desservies par la fibre, limitant en cela la vitesse d’accès notamment pour certains métiers « gourmands » en données et images. Tous ces éléments expliquent que la demande pour la mise en place du télétravail était faible ; les collaborateurs, mais aussi les partenaires sociaux et a fortiori les managers n’étaient pas demandeurs. Par conséquent, peu de textes organisent le télétravail en France ; il n’y a pas de négociation obligatoire sur ce sujet aujourd’hui, pas d’actions volontaristes des pouvoirs publics (à
l’inverse d’autres sujets comme l’égalité salariale par exemple) et peu
d’accords d’entreprises. Les événements actuels vont probablement
inciter à l’ouverture d’une négociation sociale nationale sur le télétravail. Enfin, les entreprises qui s’y sont lancées il y a longtemps admettent avec le recul de l’expérience, qu’elles peuvent y trouver un surcroit d’efficacité. Mais, pour cela des dispositions doivent être adoptées par l’entreprise qui souhaite le développer.
LES INGRÉDIENTS DE LA RECETTE D’UN TÉLÉTRAVAIL RÉUSSI
Pour que le télétravail soit une réussite, il convient de l’encadrer quelque
peu, du moins lors de sa mise en place. Quelques règles établies par
accord ou de façon unilatérale permettront de faire disparaitre les réticences des uns et les hésitations des autres. Ces règles devront avoir pour finalité de renforcer le lien entre les collaborateurs, ce lien qui est une
des forces de l’entreprise. Plus ce lien est épais, plus il est solide et mieux il
permettra à l’entreprise d’affronter les difficultés. Nous vous proposons ici différentes actions faciles à mettre en œuvre, qui ont pour objectif de
prendre en compte et de régler les différentes contraintes humaines et
techniques. Et cela que le télétravail soit pérenne (les collaborateurs
concernés télétravaillent d’une façon régulière et précisément définie
LE TÉLÉTRAVAIL : UN PAS VERS UN MANAGEMENT SUR MESURE
Mettre en place le télétravail, c’est accepter l’inégalité entre les collaborateurs et l’assumer : l’employeur met en place une disposition qui ne peut être appliquée à chacun et notamment pas au personnel de production dont l’outil de travail ne peut être à domicile (embouteillage de vin, four en feu continu…), ni au collaborateur nouvellement intégré, voire à d’autres typologies de collaborateurs. Faudra-t-il envisager pour ceux-ci qui ne peuvent pas bénéficier du télétravail des compensations financières, justifiées notamment par le surcroît de dépense et de temps passé dans les
transports ? Mais surtout, mettre en place le télétravail, c’est renforcer le lien de confiance entre le manager et les collaborateurs. Il ne s’agit pas
de porter la confiance en bandoulière, de la réclamer à corps et à cris,
de l’exiger des autres et de ne pas l’appliquer. L’appliquer, cela signifie
faire confiance au collaborateur, à son travail et donc, concrètement, ne pas
mettre en place des contrôles excessifs. Pour cela 3 outils nous paraissent
nécessaires et suffisants :
L’entretien professionnel tous les 2 ans.
Un « entretien objectifs » annuel avec un point spécifique sur le télétravail et ses conditions d’exécution.
Une revue régulière (mensuelle) des points évoqués lors de ce dernier
entretien, ce qui permet d’accompagner le collaborateur. Accompagner son collaborateur plus que le contrôler est certainement la clé du
déploiement réussi du télétravail.
Posez-vous la question ; ces derniers temps ai-je surtout contrôlé mon collaborateur (qu’il soit à distance ou présent à son bureau) pour vérifier que la tâche confiée était bien accomplie, l’ai-je accompagné ou l’ai-je laissé faire sans me préoccuper réellement de lui ? La mise en place réussie du télétravail nécessitera un développement de la posture d’accompagnant, qui est aujourd’hui connue sous le nom de manager-coach. Le télétravail
devient l’occasion de modifier son propre mode managérial et apparaît comme une étape vers une refonte globale du management qui sera beaucoup plus axé sur la confiance, le soutien.
En conclusion, il nous semble que, compte tenu de la situation sociale
existante en France aujourd’hui (6), le rôle de l’entreprise demain sera
majeur dans la résorption de la pauvreté mais aussi des difficultés de
beaucoup de collaborateurs dans leur vie quotidienne. Pourquoi ? L’État et
les collectivités locales ne peuvent pas s’engager davantage sauf à augmenter les impôts dans un pays déjà surfiscalisé. Or, qui crée de la richesse ? Les entreprises. Sur elles, porte une lourde responsabilité ; elles devront accroître leur rôle social et donner un nouveau visage au paternalisme d’entreprise pratiqué au XIXe siècle par Michelin ou Schneider par exemple. On en voit les prémices en France
dans la loi Pacte de 2019 avec l’apparition de la notion d’entreprise à mission, celle-ci ayant l’obligation de prendre en considération les enjeux
sociaux et environnementaux de son activité. C’est dans ce cadre-là que
doit être considéré le développement du télétravail qui est partie intégrante
de la politique RSE d’une entreprise.
1 Source ministère du Travail, dernières statistiques officielles sur ce sujet.
2 D’après un sondage du J.D.D. du 10 mai, plus de la moitié des salariés sondés souhaitait retourner sur leur lieu de travail habituel, à partir du 11 mai (et arrêter le télétravail). À l’opposé, des entreprises s’engagent avec conviction dans cette direction comme par exemple le groupe PSA qui affirme avec vigueur vouloir pérenniser le télétravail – 6 mai
message du DRH du groupe PSA sur linkedin.
3 Sources INSEE : sur les 8 millions de familles avec enfants mineurs, 23 % sont des familles monoparentales. Cette part a doublé depuis 1990 où elle s’élevait à 12 %. Dans 84 % des cas, les enfants résident (ou résident principalement) avec leur mère. (NDLR l’inégalité de la garde des enfants est un problème au moins aussi important que l’égalité salariale.)
4 – 26 634 euros brut. C’est le salaire moyen en France selon la nouvelle étude publiée par l’Insee) – (NDLR : soit 2 219 euros bruts par mois ou, avec une moyenne de 21 % de cotisations, 1 753 euros nets)
5 ANI de 2005, loi de 2012, ordonnance travail de 2017 et un question-réponse du ministère du Travail du 9 mai 2020.
6 – 14,7 % de la population française était considérée comme pauvre à la fin 2018, un niveau au plus haut depuis la fin des années 1970. Il s’agit des personnes dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian (1 050 euros par mois environ pour une personne seule), la pauvreté concernait 9,3 millions de Français. Source INSEE.