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Discriminations à l’emploi : les victimes doivent « pousser la porte des cabinets d’avocats et celle des palais de justice »

Interview de Me Jérôme Delas (platefoRHm) paru dans franceinfo Radio France. Article publié le 07/12/2021. Temps de lecture : 4 min.

Billet d’humeuRH du 1er janvier 2022.

Selon un rapport de la Défenseure des droits, plus d’un jeune sur trois dit avoir été victime de discrimination dans sa recherche d’emploi. Jérôme Delas (membre de platefoRHm) constate « de plus en plus, une intériorisation de la discrimination » par les victimes.

Entre 22% et 37,5% des audiences sont nocturnes, d'après un questionnaire adressé aux magistrats de plus de 50 juridictions, selon les syndicats SM et USM. (MAXPPP)
Entre 22% et 37,5% des audiences sont nocturnes, d’après un questionnaire adressé aux magistrats de plus de 50 juridictions, selon les syndicats SM et USM. (MAXPPP)

« Les victimes de discriminations doivent savoir qu’elles doivent pousser la porte des cabinets d’avocats et pousser la porte des palais de justice », a incité Jérôme Delas, avocat de Bordeaux, mardi 7 décembre sur franceinfo. Jérôme Delas est membre de la Convention Elucid, premier réseau d’aide aux victimes de discrimination. Selon un baromètre publié mardi, plus d’un jeune sur trois (37%), âgé de 18 à 34 ans, déclare « avoir vécu une situation de discrimination ou de harcèlement discriminatoire dans le cadre de sa recherche d’emploi. »

La Defenseure des droits Claire Hédon estime que ces discriminations ont des conséquences lourdes sur la santé psychologique des jeunes. Jérôme Delas constate « de plus en plus, une intériorisation de la discrimination » par les victimes. Réagissant au cas d’une jeune femme d’origine maghrébine dont l’employeur lui a demandé de changer de nom et de prénom, l’avocat rappelle que « c’est illégal ».

franceinfo : Est-ce qu’un employeur peut imposer un changement de nom ?

Jérôme Delas : Bien évidemment que non. On perçoit l’une des difficultés qui est mise en évidence par le 14e baromètre sur la perception des discriminations, à savoir la répercussion émotionnelle qui peut être subie par une victime de discrimination. En l’occurrence, cette jeune femme a un traitement qui est un traitement totalement illicite, illégal, et que le droit du travail doit être en mesure de protéger.

Est-il compliqué d’établir les faits entre le ressenti de la victime et la réalité des faits ?

C’est toute la difficulté. Même s’il faut sensibiliser les victimes de discriminations sur un point : on ne demande pas réellement aux victimes de discrimination de prouver qu’elles sont victimes de discrimination. Il y a un système de preuves qui est un système allégé. De façon générale, pour les personnes qui sont victimes de discriminations, elles doivent présenter des éléments qui laissent supposer l’existence d’une discrimination. Ensuite, le juge va devoir trancher et arbitrer, et notamment en fonction des éléments que la partie adverse pourra produire pour savoir si la décision qui a été prise était étrangère à tout critère discriminatoire, et donc fondé sur des éléments objectifs.

Les ressentis ne doivent pas faire partie des faits. On doit pouvoir véritablement inviter de plus en plus d’individus victimes de discriminations à exercer des actions en justice, précisément pour combattre ce genre de décision, pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un ressenti mais qu’il s’agit de pratiques de démarche condamnables.

Il y a la répercussion émotionnelle, la crainte ou la peur de représailles ainsi que la crainte et la difficulté de pouvoir faire valoir ses droits. Vers qui vais-je me tourner ? Comment est-ce que je vais pouvoir mettre en évidence ce phénomène discriminatoire, ce système discriminatoire ? Et c’est d’autant plus important que, de plus en plus, on a l’impression qu’il y a une intériorisation de la discrimination. Mais il y a d’autres problématiques de discriminations fondées sur l’état de santé, l’orientation sexuelle ou le handicap.

Est-ce que les victimes ne se sentent pas seules et n’osent pas s’adresser à un avocat ?

On reste totalement seul, et pourtant, il existe beaucoup de dispositifs qui permettent à ces personnes victimes de discriminations, de s’orienter vers une association, un avocat ou le palais de justice. Les victimes de discriminations doivent savoir qu’elles doivent pousser la porte des cabinets d’avocats ou pousser la porte des palais de justice, parce qu’il y a des personnes qui sont spécifiquement formées pour recueillir leur parole, pour défendre leurs droits et les aider à préparer leur dossier.

Comment sensibiliser aussi les employeurs sur ces discriminations ?

Toute la difficulté, c’est qu’il faut avoir les deux maillons de la chaîne envisagée. Il y a la sanction, qui peut être de nature civile, avec une condamnation prudhommale. Mais il faut aussi rappeler qu’en matière pénale, une discrimination est passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Ça, c’est important. Et il y a toutes les logiques de prévention et de promotion de l’égalité des chances qui ont toute leur place dans les entreprises. Le droit du travail est quand même particulièrement bien armé en la matière.

En revanche, il est peut-être un peu plus compliqué de lutter contre les discriminations dans l’accès au logement. La preuve de la discrimination est quand même un petit peu plus compliquée. Dans l’emploi, c’est plus délicat à prouver lorsque l’on est dans une démarche d’accès à l’emploi. La discrimination est plus facile à prouver lorsque l’on est présent dans l’entreprise et que nous avons accès à un certain nombre de documents. Mais cette démarche-là est très fragilisante, dans la mesure où elle peut conduire à déstabiliser le salarié qui est sous contrat de travail.